3ème conférence Medialux : Les enjeux français et européens de la désinformation et de sa régulation : de la prise de conscience nécessaire à la panique morale
Depuis les attentats de Charlie Hebdo, les élections de Trump et Bolsonaro à la présidence des Etats-Unis et du Brésil, le Brexit, la pandémie de Covid-19 et l’invasion Russe en Ukraine ont braqué l’attention des journalistes et des pouvoirs publics, au niveau français d’abord et européen ensuite, sur un phénomène aussitôt qualifié de massif, d’inédit et de dangereux auquel il convient de faire face avec énergie : la désinformation. Dans le cadre de ce séminaire, nous retiendrons, quoi que nous en discuterons les aspects problématiques, une définition large de la désinformation, telle que fournie par le Code renforcé des bonnes pratiques de lutte contre la désinformation, qui englobe tout à la fois les contenus relevant des fake news, des théories conspirationnistes, des opérations d’influence étrangère, de la propagande politique ou de la simple mésinformation.
Partant de là, nous reviendrons sur le moment fondateur des attentats de Charlie Hebdo en France en 2015 afin de montrer comment la désinformation et le complotisme ont été les réponses convoquées par les autorités pour expliquer qu’une partie de la population n’ait pas adhérée au narratif « Je suis Charlie ». Nous reviendrons donc sur les conditions sociales dans lesquelles la désinformation a été érigée en problème public et les représentations épistémiques qui ont été à l’œuvre dans le cadrage opéré autour de ces notions par des acteurs eux-mêmes socialement situés et qui a ouvert, depuis lors, la voie à la mise en place en place de dispositifs successifs afin de juguler la désinformation. En effet, depuis 2015, c’est environ une dizaine de dispositif législatifs (lois anti fake news, Avia, séparatisme, etc.) et institutionnels (Viginum, Promeneurs du web, Commission Bronner, etc.) qui ont été mis en place et dont l’effet paradoxal, dû en partie à leur couverture médiatique, est qu’ils ne font que renforcer l’idée d’une désinformation de plus en plus massive et dangereuse contre laquelle la lutte est toujours plus impérieuse. D’une nécessaire prise de conscience des dangers, sans doute limités, que la désinformation pouvait faire peser sur les régimes représentatifs, la lutte systémique contre la désinformation a donné lieu à une véritable panique morale d’une partie des élites politiques et médiatiques.
Loin de se limiter au seul cas français, cette panique morale a enfin atteint les instances européennes à la faveur de la pandémie de Covid-19 et plus encore l’invasion Russe en Ukraine et a présidé à la mise en place de plusieurs dispositifs (EDMO, Code renforcé, DSA, etc.) qu’il conviendra également de questionner dans le contexte des élections à venir en 2024.